« Defund the police » : fracture démocrate ou fantaisie républicaine ?

Par Frédérique Verreault
Chroniques de l'Observatoire sur les États-Unis - Chaire Raoul-Dandurand
À quelques mois des élections de mi-mandat de 2022, les démocrates se préparent à défendre de minces majorités dans les deux chambres du Congrès. L’apparence d’un parti unifié derrière le président Biden est primordiale pour éviter une vague républicaine le 8 novembre prochain. Toutefois, à en croire les membres républicains du Congrès, le Parti démocrate se déchire sur la question du définancement de la police. La réalité est cependant tout autre.
En mai 2020, des mouvements de protestation éclatent partout aux États-Unis après la mort de George Floyd aux mains de la police de Minneapolis. Ces manifestations sont porteuses de nombreuses revendications, dont une en particulier qui ressort du lot et frappe l’imagination : « Defund the police ». Ce slogan appelle à la réorientation d’une partie du financement alloué aux services de police vers d’autres formes de sécurité publique comme les services sociaux et communautaires, le logement, l’éducation ou encore les soins de santé. Certains membres très progressistes du Parti démocrate – notamment Alexandria Occasio-Cortez, Ilhan Omar et Ayanna Pressley – appuient rapidement cette idée, mais leur position demeure marginale à l’intérieur du Parti démocrate, au sein duquel la grande majorité des élus s’en distancient et préfèrent une approche réformiste[1]. Cela n’empêche pas les républicains de tenter d’associer les démocrates à cette position impopulaire auprès de l’opinion publique.
Un slogan toxique sur le plan électoral
L’enjeu de la violence policière, particulièrement à l’endroit de la population afro-américaine, est omniprésent durant les élections de 2020. Malgré la victoire du président Biden, les résultats sont décevants pour son parti qui perd 11 sièges à la Chambre des représentants. De nombreux stratèges et membres du parti rejettent la faute sur l’idée du définancement de la police. Un rapport du comité de campagne du Congrès démocrate (DCCC) produit des conclusions similaires : les attaques républicaines répétées au sujet de ce controversé slogan ont fait fondre la marge démocrate à la Chambre.
Cette stratégie s’avère si efficace qu’en janvier 2021, le Parti républicain réitère son offensive dans le cadre du deuxième tour des élections sénatoriales en Géorgie. Ces deux courses revêtent une importance capitale, puisque le contrôle du Sénat est en jeu. Le camp républicain accuse les deux candidats démocrates, Jon Ossoff et Raphael Warnock, de vouloir « définancer la police », affirmant même à tort que Warnock est un « extrémiste anti-police ». Malgré tout, les démocrates remportent ces deux sièges, s’assurant une infime majorité au Sénat.
Il est difficile d’évaluer à quel point ces attaques sur la question du financement de la police sont responsables des difficultés électorales du Parti démocrate. Cela dit, à la lumière du plus récent cycle électoral, et malgré les victoires démocrates en Géorgie, les élus républicains estiment que les discussions sur cet enjeu représentent le talon d’Achille de leurs adversaires.
Les démocrates et le définancement de la police, une lubie républicaine
Alors que plusieurs villes américaines enregistrent une augmentation marquée du taux de crimes violents, la sécurité publique risque d’être une question centrale en 2022. Par conséquent, le Grand Old Party compte bien miser sur cet enjeu pour faire des gains à la Chambre des représentants, certaines flèches contre le parti adverse ayant déjà été décochées.
À l’été 2021, le comité d’étude républicain de la Chambre des représentants diffuse une vidéo dévoilant des tweets en appui au définancement de la police, publiés par plusieurs démocrates progressistes. En octobre, le Comité national républicain (RNC) rend publique une vidéo intitulée « 7 Minutes of Democrats Saying Defund the Police[2] ». Le mois suivant, le Comité national républicain du Congrès (NRCC) fustige les démocrates dans une publicité, affirmant que ces derniers sont incapables de protéger la population américaine, que ce soit dans le monde, dans les rues, ou à la frontière.
Plus récemment, les républicains de la Chambre des représentants publient un article sur leur site internet qui sous-entend qu’une myriade de démocrates – dont le président Biden et la vice-présidente Kamala Harris – appuient cette mesure controversée. Les républicaines et républicains du Sénat diffusent également un texte similaire en février 2022. Pour l’heure, la dernière offensive du camp républicain est un article en réaction au discours sur l’état de l’Union du président intitulé : « Don’t Believe Biden, Democrats Still Want To Defund Our Police[3] ».
Quasi-consensus chez les démocrates
En réalité, l’écrasante majorité des figures politiques démocrates s’oppose au définancement des forces de l’ordre et tente de faire front commun. Ces derniers anticipent un cycle électoral difficile, alors que le parti du président perd presque toujours des plumes lors des élections de mi-mandat et que les taux d’homicide et de crimes violents au pays augmententdepuis 2020. Qui plus est, cette mesure est particulièrement impopulaire au sein de l’opinion publique américaine. En septembre 2021, seulement 23 % de l’électorat afro-américain et 15 % de la population générale appuient le définancement. Quant aux propositions de réformes comprises dans le « George Floyd Justice in Policing Act », elles sontbien plus populaires. Ce projet de loi n’a cependant jamais abouti, malgré une année de négociations bipartisanes au Congrès, en raison de désaccords concernant l’immunité qualifiée du corps policier contre certaines poursuites civiles.
Depuis, la plupart des élus progressistes appuyant le définancement délaissent le slogan. Toutefois, Cori Bush, représentante du premier district du Missouri et militante au sein du mouvement Black Lives Matter, refuse de le remiser, ce qui lui vaut des reproches de ses collègues. En février dernier, Nancy Pelosi réagit aux déclarations de Bush et déclare que le Parti démocrate ne soutient pas le définancement des forces de l’ordre. Le président Biden fait de même lors de son discours sur l’état de l’Union le 1er mars dernier, affirmant catégoriquement la position de son parti : « La réponse est de financer la police ».
À huit mois des élections de mi-mandat de 2022, le budget proposé par le président Biden inclut 1,97 milliard de dollars « pour soutenir les forces de l’ordre locales et d’État, soit une augmentation de 12 % » par rapport à l’an dernier. Le constat est évident : les démocrates se sont clairement positionnés en faveur du financement de la police. Néanmoins, une question demeure : espérant faire des gains dans des districts compétitifs, le Parti républicain persistera-t-il à attaquer ses adversaires politiques au sujet du slogan controversé ?
[1] Ces propositions de réforme prennent plusieurs formes, dont des formations pour réduire le biais racial, l’encadrement de l’usage de la force, ou encore une responsabilité et une transparence accrues en ce qui concerne les interventions policières.
[2] Sept minutes pendant lesquelles des démocrates expliquent qu’il faut définancer la police (traduction libre).
[3] Ne croyez pas Biden, les démocrates veulent toujours définancer notre police (traduction libre).
5 avril 2022En savoir plus