Du désaveu à la réélection ? Les élections de mi-mandat et leurs effets limités sur les présidentielles

Par Christophe Cloutier-Roy
Chronique de l'Observatoire sur les États-Unis

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À moins de neuf mois des élections de mi-mandat, l’affaire semble entendue : sauf surprise majeure, les démocrates ne parviendront pas à renverser la tendance historique du parti présidentiel à essuyer des pertes lors des élections de mi-mandat. L’impopularité du président Joe Biden, les courtes majorités dont disposent les démocrates à la Chambre des représentants et au Sénat, l’enthousiasme des électrices et électeurs républicains, l’avance persistante du Grand Old Party dans les intentions de vote pour les scrutins au Congrès et le grand nombre de départs à la retraite chez les démocratessont autant de signes annonciateurs d’une soirée électorale qui risque de se conclure par la perte des majorités démocrates au Congrès. Si ce scénario devait se matérialiser, plusieurs analystes interprèteraient probablement ce résultat comme un signe de la mauvaise posture du 46e président des États-Unis pour une réélection en 2024.

D’un point de vue historique, une telle conclusion serait prématurée. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, quatre présidents démocrates ont tenté d’obtenir un second mandat, soit Harry Truman[1] (1945-1953), Jimmy Carter (1977-1981), Bill Clinton (1993-2001) et Barack Obama (2009-2017). Les trois qui y sont parvenus (Truman, Clinton et Obama) ont remporté leur réélection deux ans après une élection de mi-mandat qui s’est conclue par la perte d’au moins une chambre au Congrès[2]. Ces trois élections de mi-mandat (1946, 1994 et 2010) ont entraîné une perte moyenne de 57 sièges à la Chambre et de 9 sièges au Sénat pour les démocrates. L’élection de 1946 mettait fin à 14 années de règne de la coalition du New Deal au Congrès, tandis que celle de 1994 mettait un terme à quatre décennies de contrôle ininterrompu par les démocrates de la Chambre des représentants. Quant à Obama, les 63 sièges perdus par son parti à la Chambre des représentants en 2010 représentent le 5e pire résultat pour le parti du président lors d’une élection de mi-mandat depuis 1862 et la 3e plus grande perte de siège des 100 dernières années. Malgré l’ampleur de ces rebuffades, les trois hommes ont par la suite remporté leur réélection avec une avance confortable au Collège électoral. Quant à Carter, seul président démocrate du XXe siècle à n’avoir pas été réélu, il a pu conserver ses majorités démocrates au Congrès, ce qui ne l’a pas empêché d’encaisser deux ans plus tard la plus cinglante défaite pour un président en exercice de l’histoire des États-Unis (Tableau 1).

Tableau 1 : Résultats électoraux des démocrates lors des premiers mandats de Truman, Carter, Clinton et Obama

Président

Résultats pour les démocrates lors de l’élection de mi-mandat

Résultats pour les démocrates lors de la campagne présidentielle de réélection

Harry Truman (1945-1953)

1946

Chambre : -55 sièges

Sénat : -12 sièges

Perte de la majorité dans les deux chambres

1948

Victoire du ticket démocrate

Chambre : +75 sièges

Sénat : +9 sièges

Reprise de la majorité dans les deux chambres

Jimmy Carter (1977-1981)

1978

Chambre : -15

Sénat : -3

1980

Défaite du ticket démocrate

Chambre : -34

Sénat : -12

Perte de la majorité au Sénat

Bill Clinton (1993-2001)

1994

Chambre : -54

Sénat : -8

Perte de la majorité dans les deux chambres

1996

Victoire du ticket démocrate

Chambre : +2

Sénat : -2

Barack Obama (2009-2017)

2010

Chambre : -63

Sénat : -6

2012

Victoire du ticket démocrate

Chambre : +8

Sénat : +2

 

Confrontés à la perspective d’une élection de mi-mandat potentiellement désastreuse pour leur parti, Biden et les démocrates pourront à tout le moins garder espoir en vue de l’élection présidentielle de 2024, surtout si le président retient les bonnes leçons de l’expérience de ses prédécesseurs.

Truman : des bienfaits d’avoir un bouc émissaire

Tapez « Do Nothing Congress » dans l’onglet de recherche de Wikipédia et vous arriverez directement sur la page consacrée au 80e Congrès (1947-1949), passé à l’histoire comme symbole de la torpeur législative aux États-Unis. Contrôlé par les républicains, le 80e Congrès s’est fait un devoir de bloquer la majorité des mesures progressistes proposées par la Maison-Blanche dans le cadre du Fair Deal de l’administration Truman. Le président a fait de cette obstruction un des motifs de sa campagne, tempêtant inlassablement contre le soi-disant « Do Nothing Congress ». Le qualificatif était un brin exagéré pour désigner une législature ayant adopté plus de 900 lois (soit bien davantage que ce à quoi nous a habitués le Congrès depuis plusieurs décennies), dont le plan Marshall de reconstruction de l’Europe et la très conservatrice loi antisyndicale Taft-Hartley. Truman a néanmoins remporté son pari : non seulement a-t-il été réélu, mais les démocrates ont repris le contrôle du Congrès. Advenant la perte d’une ou deux chambres du Congrès, Biden pourra imiter Truman et jeter le blâme sur les républicains pour leur obstruction. Du point de vue de la Maison-Blanche, il sera certainement plus facile de pointer du doigt Mitch McConnell et Kevin McCarthy que Joe Manchin et Kyrsten Sinema, deux boucs émissaires encombrants étant donné leur appartenance au Parti démocrate.

Carter : mieux vaut gérer des crises en début de mandat

Avant d’être reconnu comme le meilleur ex-président de l’histoire des États-Unis, Jimmy Carter a trainé pendant plusieurs années une réputation de médiocrité reflétant le souvenir amer laissé aux Américains et Américaines par son unique mandat. Si le court passage au pouvoir du Géorgien demeure associé à une impression de « malaise », on ne doit pas perdre de vue que plusieurs des crises qui ont ponctué son mandat (crise énergétique, invasion soviétique de l’Afghanistan, crise des otages américains en Iran) sont survenues après les élections de mi-mandat de 1978. Incapable de sortir la tête hors de l’eau, le démocrate s’est avéré une proie facile pour le républicain Ronald Reagan qui, porté par le slogan « Let’s Make America Great Again », n’a fait qu’une bouchée de Carter, remportant 44 États sur 50. Quant à Biden, qui voit les crises se multiplier depuis la fin de l’été (sortie manquée d’Afghanistan, COVID-19, inflation, blocages législatifs, Ukraine), il peut encore espérer que des jours meilleurs d’ici la fin de son mandat (voire d’ici aux élections de mi-mandat) entraîneront un rebond de sa popularité.

Clinton : aimer la trigonométrie

On attribue généralement au conseiller politique Dick Morris la paternité de la stratégie de la triangulation qui a permis au président Clinton de naviguer paisiblement vers sa réélection en 1996 en se positionnant au centre de l’échiquier politique et en réunissant autour de ses propositions législatives une coalition d’élus modérés des deux partis. En cette ère de polarisation exacerbée, nul n’oserait croire que Biden pourrait réussir à recomposer un tel groupe bipartisan, mais son salut en 2024 pourrait passer par l’occupation d’un centre politique laissé vacant par les figures les plus visibles des deux partis au Congrès. Pour fonctionner, une telle tactique impliquerait vraisemblablement, en plus d’attaquer constamment les membres les plus extrêmes du Parti républicain, de prendre ses distances avec la gauche du Parti démocrate afin de maintenir ses appuis auprès d’un électorat qui, dans son ensemble, n’est pas nécessairement aussi polarisé sur le plan idéologique qu’on tend à le croire.

***

Les élections de 2024 sont encore loin et sont entourées d’incertitudes : dans quel contexte géopolitique, social et économique se dérouleront-elles ? Quel sera l’effet des dizaines de nouvelles lois adoptées par les États pour encadrer les élections ? Donald Trump sera-t-il candidat ? Surtout : Joe Biden briguera-t-il un second mandat, lui qui aurait 82 ans au moment de sa seconde assermentation ? S’il devait choisir de se lancer, il pourrait suivre le plan de match suggéré par les expériences de ses prédécesseurs : utiliser les républicains comme bouc émissaire, naviguer au centre, se croiser les doigts pour que les pires crises soient derrière lui et, si possible, sortir un lapin de son chapeau. Un plan simple qui a bien fonctionné pour un certain Barack Obama en 2012.

 

[1] Dans le cas de Truman, il s’agissait de sa première élection en tant que candidat présidentiel puisqu’il avait été élu en 1944 en tant que vice-président de Franklin Roosevelt avant de lui succéder en avril 1945.

[2] Si on regarde du côté des républicains, c’est également le cas pour Dwight Eisenhower, réélu triomphalement en 1956, deux ans après que le Grand Old Party ait perdu ses majorités dans les deux chambres du Congrès.

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22 février 2022
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