Élections de mi-mandat : les opérations d’influence en sourdine ?

Par Alexis Rapin
Chronique des nouvelles conflictualités

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À la veille des midterms 2022, les craintes d’ingérences étrangères semblent s’être substantiellement réduites aux États-Unis. Si l’appareil de sécurité nationale américain paraît désormais mieux gérer cette menace, les opérations d’influence subsistent et se diversifient.

Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ? À quelques jours des élections de mi-mandat aux États-Unis, les risques d’ingérences étrangères brillent par leur discrétion dans le débat public américain. Dans les grands médias nationaux, c’est bien davantage le spectre de heurts internes qui paraît pour l’heure préoccuper les éditorialistes politiques. Six ans après le séisme de l’interférence russe dans les présidentielles de 2016, le pays de l’Oncle Sam serait-il désormais épargné par les velléités d’influences étrangères dans le processus électoral ?

Pas entièrement, semble-t-il : la semaine dernière, la firme de cybersécurité américaine Mandiant révélait l’existence d’une importante campagne d’influence en ligne chinoise, dont certains contenus politiquement orientés faisaient directement référence aux prochaines midterms. Début octobre, le groupe d’hacktivistes prorusse Killnet annonçait quant à lui son intention de pirater les sites internet d’une douzaine d’États américains, parvenant dans la même journée à rendre temporairement indisponibles les sites gouvernementaux du Colorado et du Kentucky. Si ces cyberattaques étaient peu élaborées et les sites en question relativement insignifiants, plusieurs expert-e-s firent toutefois remarquer que de tels piratages, réitérés le soir de l’élection, pourraient nourrir des doutes quant à l’intégrité du scrutin. Plus récemment, le FBI disait de son côté avoir observé un groupe de hackers étatiques chinois étudier les failles informatiques de plus d’une centaine d’organes partisans locaux à travers les États-Unis.

Force est néanmoins de constater que de tels incidents demeurent pour l’heure bien loin des coups d’éclat que furent par exemple le piratage du Comité national démocrate en 2016, ou les courriels d’intimidation faussement signés des Proud Boys et disséminés par l’Iran durant la présidentielle de 2020. Comment expliquer cette apparente accalmie sur le front du processus électoral américain ?

Des sentinelles sur le qui-vive

Un premier élément d’explication tient peut-être au fait que l’appareil de sécurité nationale américain est désormais beaucoup mieux armé pour parer les tentatives d’ingérence électorale. La création, en 2018, de la CISA (Cybersecurity and Infrastructure Security Agency) et son renforcement au fil de plusieurs bonifications budgétairesconfèrent maintenant au système électoral une « agence-garde du corps » à part entière. Celle-ci s’active notamment à aider les États à protéger leurs infrastructures électorales, ainsi qu’à communiquer rapidement sur toutes les activités suspectes qu’elle observe dans les systèmes informatiques publics américains.

Tout indique également que la communauté du renseignement, de la NSA au FBI, possède maintenant une bien meilleure visibilité sur les activités malveillantes des adversaires de Washington. En attestent notamment les attributions officielles de plus en plus rapides de cyberattaques étrangères, et les inculpations de plus en plus fréquentes de pirates informatiques étrangers par la justice fédérale — parfois photos portrait à l’appui. L’appareil de sécurité nationale américain va parfois même jusqu’à livrer des avertissements aux acteurs susceptibles de tenter des manœuvres d’influence : en 2020 l’US Cyber Command avait, peu avant l’élection présidentielle, mené une cyberopération contre la plateforme cybercriminelle russe TrickBot, dont les infrastructures étaient pressenties pour servir de tremplin à des piratages des systèmes électoraux. Si les nouvelles citées plus haut attestent que les États-Unis ne peut se prévaloir de pleinement dissuader les tentatives d’ingérence en amont, reste qu’elle est devenue bien meilleure à compliquer la tâche des fauteurs de trouble.

Ukraine : frein ou moteur ?

Le conflit en Ukraine pourrait-il être un autre facteur expliquant la modeste ampleur des opérations d’influence dans les élections de mi-mandat ? Au contraire, affirment certains : alors que plusieurs figures de proue républicaines disent vouloir réduire les aides militaires à l’Ukraine s’ils reprennent le contrôle du Congrès, la Russie aurait tout intérêt à aider insidieusement le Grand Old Party dans sa quête de sièges. L’argument paraît d’autant plus valide que de nombreux analystes géopolitiques estiment que la dépendance aux livraisons d’armements (dont une part considérable provient des États-Unis) constitue le principal talon d’Achille de l’Ukraine.

Pour autant, un autre constat – probablement plus déterminant – demeure : les organes russes auparavant mobilisés pour les activités d’ingérence aux États-Unis, comme le GRU ou l’Internet Research Agency, apparaissent désormais très occupés par le conflit ukrainien. Or, toute organisation connaît immanquablement des limites dans ses ressources, qu’elles soient humaines ou budgétaires. En d’autres termes, tous les efforts actuellement déployés par la Russie pour influencer les perceptions internationales du conflit ukrainien sont vraisemblablement autant de capital qu’elle ne peut dédier aux élections américaines.

Qui plus est, les sanctions internationales déployées dans le cadre du conflit restreindraient également la marge de manœuvre des pirates informatiques de Moscou, en réduisant par exemple leurs possibilités de louer des serveurs hors de Russie. C’est en tout cas ce que suggérait dernièrement Rob Joyce, directeur de la cybersécurité de la NSA, constatant une diminution de certaines cyberattaques russes en sol américain depuis février.

Pékin en embuscade

Si la Russie semble donc en avoir déjà beaucoup dans son assiette, la Chine, elle, suivrait de très près les élections de mi-mandat 2022. Un rapport du renseignement obtenu début octobre par l’Associated Press révélait en effet que Pékin s’activerait discrètement à cibler un petit ensemble de candidat-e-s (y compris aux niveaux plus locaux) perçus comme étant particulièrement défavorables à ses intérêts. En mars dernier, la justice américaine inculpait d’ailleurs cinq individus, suspectés d’être aux ordres du gouvernement chinois, pour avoir tenté de couler la campagne d’un candidat new-yorkais à la Chambre des représentants. D’origine chinoise, le politicien était l’un des meneurs des manifestations de la place Tiananmen en 1989.

Fait intéressant, selon le rapport obtenu par l’Associated Press, Pékin considérerait les midterms comme une occasion de s’immiscer dans la vie politique américaine de manière plus discrète que pendant les élections présidentielles. Le but global de l’opération, toujours selon le rapport, serait moins d’influencer l’issue des courses que d’orienter de manière plus diffuse la teneur du débat public américain vis-à-vis de la République populaire.

On le voit, bien que les tentatives d’ingérence semblent dorénavant moins spectaculaires que celles observées en 2016 ou 2020, celles-ci se révèlent cependant omniprésentes et potentiellement plus ardues à déceler. Ce sont moins de gros orages occasionnels qu’un crachin constant avec lequel les États-Unis doivent désormais composer. Si le bulletin météo est donc annoncé, il faudra sans doute attendre le soir du 8 novembre pour découvrir si l’Amérique est bel et bien sortie avec son parapluie.

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1 novembre 2022
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