La doctrine Biden contrecarrée par la guerre en Ukraine
Par David Dubé
Chronique de l'Observatoire sur les États-Unis | Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques
Lors de la campagne électorale de 2020, Joe Biden avait promis aux Américaines et aux Américains un « retour à la normale » en matière de politique extérieure. Ceci devait se traduire par une réaffirmation du leadership américain dans les institutions multilatérales internationales, mais aussi par une plus grande participation de son pays pour lutter contre les changements climatiques. Quant aux relations avec les grandes puissances rivales (Chine et Russie), le président Biden souhaitait redynamiser l’alliance atlantique et développer avec Moscou une relation basée sur la « prédictibilité » en vue d’effectuer un pivot vers l’Asie et ainsi se concentrer sur la rivalité grandissante avec Beijing. Les sélections de ses différents secrétaires et conseillers en matière de politique extérieure (dont Anthony Blinken au département d’État, Jake Sullivan au Conseil à la sécurité nationale, Avril Haines à la direction du Renseignement, ou encore John Kerry comme envoyé spécial pour le climat) ont été pensées en fonction de cette vision. Or, dès le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le président Biden a tenté de se positionner en tant que leader de la coalition occidentale en appui à l’Ukraine, laissant de côté certains enjeux de politique intérieure, mais également certains objectifs de politique extérieure. La guerre en Ukraine constituera-t-elle un obstacle durable dans l’établissement d’une « doctrine Biden » en politique internationale?
La volonté de Joe Biden face au conflit ukrainien
Jusqu’à présent, le virage annoncé de la politique étrangère américaine après les années Trump s’apparente davantage à un retour à une diplomatie révolue plutôt qu’au développement d’une politique extérieure dirigée vers l’avenir. L’administration Biden semble préconiser une diplomatie américaine sur le modèle de l’après-guerre froide, c’est-à-dire une implication à grande échelle sur la scène internationale qui n’inclut pas, par ailleurs, de repositionnement pour faire face aux rivalités croissantes entre grandes puissances.
L’expérience de Joe Biden en matière de politique extérieure n’est plus à démontrer : il a présidé la commission du Sénat sur les affaires étrangères durant plusieurs années et a occupé le poste de vice-président sous Barack Obama. Il possède en outre un intérêt marqué pour cet aspect du travail présidentiel. Biden avait d’ailleurs tenté d’harmoniser, ou du moins rendre plus constructives, ses relations avec Vladimir Poutine, afin d’assurer la réussite de ses objectifs les plus importants : retirer les troupes américaines d’Afghanistan, concurrencer le rival chinois et faire approuver son ambitieux plan climatique destiné à repositionner les États-Unis en tant que leader mondial sur cet enjeu. Son expérience appréciable des enjeux internationaux s’est toutefois butée à une nation fortement polarisée, ainsi qu’à des relations difficiles avec les alliés traditionnels, un héritage de l’administration Trump.
C’est dans ce contexte que l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie a débuté. Des membres de l’OTAN et des alliés occidentaux ont dû offrir une réponse conséquente à l’agression de Moscou envers Kyiv. Malgré une réactioninitiale plutôt lente, le président Biden a su prendre une place prépondérante dans l’effort lié au développement du régime de sanctions à l’endroit de la Russie. Idem pour ce qui concerne l’appui économique et militaire envoyé aux forces ukrainiennes. Pour l’instant, Joe Biden jouit d’un certain soutien de la population américaine en ce qui a trait à la position des États-Unis envers l’Ukraine. Les Américaines et Américains acceptent encore de subir les effets collatéraux de la guerre et des sanctions, dont l’augmentation du prix de l’essence et de certains biens de consommation. Cependant, il est difficile de prédire combien de temps cela durera.
Qui plus est, le président, dans sa stratégie pour contrer la hausse du prix des ressources énergétiques, est en train de sacrifier une part de son ambitieux programme environnemental, programme sur lequel il misait notamment pour recueillir des appuis électoraux lors des élections de mi-mandat. Le plan initial s’appuyait sur une transition vers les énergies vertes pour la production d’énergie, l’achat de voitures électriques et l’augmentation des bornes de recharges sur le territoire américain. Cependant, devant la hausse du prix de l’essence, l’administration Biden a fait le choix d’augmenter la production de pétrole américain, en plus d’inciter à la production de carburant alternatif polluant dans certaines régions, notamment l’éthanol 15% des décisions qui vont directement à l’encontre de la stratégie verte de l’administration présidentielle. Au détriment de certaines préoccupations démocrates, Joe Biden semble donc vouloir positionner les États-Unis en tant qu’allié de choix des États occidentaux, par opposition à Trump, et ainsi gagner son pari quant au retour des États-Unis sur la scène internationale.
La guerre en Ukraine et la nécessité de réinvestir massivement dans l’OTAN et la défense européenne pourraient limiter les capacités américaines à s’impliquer dans d’autres régions, dont le continent asiatique, et empêcher le pivot vers l’Asieque désiraient enclencher l’administration Biden et l’administration Obama auparavant. Car, conscients de l’incapacité des États-Unis de s’ingérer sur tous les fronts, le gouvernement américain avait fait le choix de se concentrer sur la Chine, et, pour ce faire, de rendre la relation avec Moscou plus « prévisible ».
L’effet imprévisible des Midterms
Les élections de mi-mandat auront lieu dans à peine quelques mois. Après deux ans de mandat, une grande partie de l'électorat est insatisfaite du bilan de l’administration Biden en politique intérieure. Les démocrates à la Maison-Blanche et à Capitol Hill devront rapidement adopter une stratégie pour limiter les pertes de sièges au Congrès et de postes de gouverneurs d’État. Pour l’instant, la guerre en Ukraine occupe une part prépondérante de l’emploi du temps du président, mais de nombreux membres de son administration désirent recentrer son attention sur les enjeux électoraux, notamment la gestion de la pandémie, la relance économique verte, l’inflation, les problématiques raciales ainsi que l’éducation et la santé.
En effet, les problématiques de politique extérieure incitent rarement la population à voter, puisque les citoyennes et les citoyens perçoivent rarement l’effet de ces enjeux sur leur quotidien. Miser sur l’appui américain envers l’Ukraine et malmener certains objectifs de politique intérieure pourraient coûter très cher au Parti démocrate. De plus, les sanctionsimposées à la Russie n’ayant pas l’effet escompté - malgré leur importance sans précédent – il y a fort à parier que la population américaine ne tolérera pas de voir son gouvernement se détourner de manière prolongée des enjeux intérieurs. Le Parti républicain pourrait également utiliser cette situation à son avantage pour critiquer les décisions de l’administration Biden. Les démocrates devront donc trouver des solutions alternatives pour faire pencher la balance électorale en leur faveur. Il leur faudra probablement mettre de l’avant des enjeux qui touchent la vie quotidienne des citoyennes et des citoyens, tels que la relance économique, le combat contre l’inflation, l’accès aux soins de santé, à l’éducation ou encore la lutte contre les changements climatiques.
3 mai 2022En savoir plus