Les dilemmes de la résolution des conflits face aux défis de la « guerre au terrorisme» : le Mali dans une perspective sahélienne

Par Bruno Charbonneau et Cédric Jourde
Centre FrancoPaix en résolution des conflits et missions de paix | Rapport de recherche no. 1

En janvier 2012, une rébellion au nord du Mali amorçait une série d’événements qui entraînèrent des répercussions bien au-delà des frontières maliennes. En mars, un coup d’État mené par des éléments de l’armée nationale contre le gouvernement d’Amadou Toumani Touré aggravait la situation. L’État malien désorganisé, déjà en difficulté face à la rébellion, devenait largement incapable de la gérer ou de la résoudre. Alors que les différents groupes prenaient le contrôle des territoires au nord, la communauté internationale débattait de la nature de la crise et de l’urgence de la situation. Le gouvernement américain et plusieurs membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) y voyaient une crise constitutionnelle centrée sur Bamako, alors que le gouvernement français soutenait qu’il s’agissait plutôt d’une crise terroriste menaçant l’existence même du Mali et la sécurité des pays limitrophes, peut-être même celle de l’Europe.

L’intervention militaire française de janvier 2013 allait imposer, en quelque sorte, son interprétation de la crise malienne. L’opération Serval mettait de l’avant les aspects dits « terroristes » et transfrontaliers des menaces sécuritaires pour la région du Sahel et au-delà. Bien que considérée comme un succès militaire à court terme, Serval n’avait jamais eu la prétention d’offrir une solution politique, seulement de mettre en place les conditions pour celle-ci. La destruction et la répression des groupes terroristes devaient créer l’espace nécessaire à une résolution politique du conflit malien. La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), autorisée en avril 2013, était déployée pour appuyer le processus politique et effectuer un certain nombre de tâches d’ordre sécuritaires. Toutefois, notamment à partir de l’été 2014, il devint clair que la solution ne viendrait pas d’elle-même et demandait un engagement politique sur le long terme.

Depuis, l’opération Serval s’est transformée en une opération de contre-terrorisme, nommée Barkhane, qui opère officiellement sur la zone du G5 Sahel, soit le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad (elle est aussi connue pour avoir survolé le nord du Nigéria). Barkhane est justifiée sur une double logique de « guerre au terrorisme » et de division du travail. D’un côté, la France est au cœur d’un dispositif contre-terroriste (soutenu par les États-Unis, l’Union européenne et les membres africains du G5 Sahel) qui doit, en théorie, permettre l’établissement des conditions nécessaires à la résolution des conflits et à la consolidation de la paix en éliminant les « terroristes ». De l’autre, la MINUSMA doit faciliter le processus de paix entre les partis perçus comme légitimes.

Ce rapport interroge la pertinence de l’importance donnée à la question « terroriste » et les effets de cette grille de lecture sur les possibilités de résolution des conflits au Mali et, plus largement, dans la zone sahélienne. Les analyses de « guerre contre le terrorisme » font trop souvent abstraction des difficultés à distinguer le « terroriste » de l’acteur politique légitime, de l’imbrication des « terroristes » dans les dynamiques locales et du poids des catégories ethnoraciales pour comprendre l’évolution des tensions politiques et des causes profondes des conflits.

L’émergence de la violence demeure intimement liée au problème de l’État, de sa légitimité et de la moralité des systèmes de répartition des ressources et des pouvoirs. La « guerre au terrorisme » a tendance à obscurcir, négliger, cacher, ou même exacerber ces enjeux fondamentaux. Ce rapport vise à élargir le débat et les options politiques que le discours dominant d’une « guerre contre le terrorisme » cherche à limiter.

ISBN : 978-2-922844-69-6
Mai 2016
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