« Printemps arabes » et révolution de l’information : le poids des nouvelles technologies dans les relations internationales

Par Julien Saada
Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques | UQAM

L’évolution des technologies de l’information et de la communication (TIC) et la normalisation de leur pratique invitent à une réflexion sur leur apport dans le champ politique. Les évènements récents, à l’instar des « Printemps arabes », du mouvement vert en Iran, de Wikileaks, ou encore des diverses opérations orchestrées par le groupe de pirates informatiques Anonymous mettent en évidence la nécessité d’analyser ces phénomènes pour appréhender les principaux changements liés à l’innovation technologique. Cette étude demeure préliminaire tant les phénomènes auxquels elle s’intéresse sont mouvants et sujets à de rapides changements difficilement prévisibles. Elle permet toutefois d’identifier les principales tendances liées à l’usage régulier des TIC dans les affaires politiques internationales, en particulier au Moyen-Orient. Cinq points retiennent l’attention :

1. Le concept de l’espace public en réseau s’applique bien à la compréhension de l’apport des technologies médiatiques (médias traditionnels et médias sociaux) et à l’identification des nouveaux acteurs dans l’espace politique international.

2. De nouvelles formes de mobilisation politique sont apparues avec l’usage massif de la communication en réseau. Manuel Castells parle de « médias de masse individualisée », Howard Rheingold de « smart mobs », Marc Lynch souligne l’importance de la blogosphère dans les stratégies de manifestations qui rythment la vie politique au Moyen-Orient depuis plus de deux ans. Le point commun à toutes ces formes de protestations réside dans leur caractère décentralisé, sans chef de file identifiable, éphémère et dans l’utilisation habile des technologies numériques.

3. De nouveaux acteurs dans la sphère politique émergent grâce à leur maitrise de la technologie. Ils jouent ainsi un rôle d’émetteurs autant que de récepteurs de l’information. Trois types de nouveaux acteurs sont marquants : les pirates informatiques ou hackers cherchent à exploiter les évolutions technologiques à des fins idéologiques ou politiques. Les « cyber-activistes » sont des activistes qui utilisent l’informatique pour diffuser des informations et des directives qui sont difficiles à faire avancer sur le terrain. Les « journalistes citoyens » participent, par leurs activités, à diffuser l’information au sein de l’espace public en réseau.

4. La diplomatie publique occupe de nouveau une place centrale dans la politique étrangère des États. Cette « nouvelle diplomatie publique » s’ajuste à la révolution de l’information. La cyber-diplomatie, où le préfixe cyber fait référence aux activités reliées aux ordinateurs et à la technologie électronique, est considérée comme une extension de la diplomatie publique.

5. L’écosystème de l’information, plus complexe, aurait tendance à modifier les pratiques journalistiques pour donner naissance à un journalisme collaboratif où journalistes professionnels, acteurs non étatiques, et individus participent à la diffusion de l’information. Ce phénomène a été présent dans le cadre des « Printemps arabes » en Égypte, en Tunisie, en Syrie, ainsi qu’en Iran en juin 2009. Dans tous ces cas, les régimes en place ont voulu contrôler l’information, bloquant notamment l’accès aux journalistes internationaux. Or, les journalistes citoyens et cyber-activistes, qui ont agi au sein même de ces pays, ont bénéficié de réseaux dans les médias étrangers plus traditionnels afin de toucher une audience internationale.

Décembre 2013
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