Sport et COVID-19 : petit état des lieux

Par Yann Roche
Observatoire de géopolitique de la Chaire Raoul-Dandurand

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En cette mi-avril 2020, les problèmes du monde du sport peuvent sembler plutôt futiles. Alors que la pandémie de COVID-19 occupe la une des médias à l’échelle mondiale, que plus de deux millions de personnes sont contaminées et que l’on dénombre plus de 120 000 décès et des millions de pertes d’emploi, évoquer un évènement ou une équipe sportive risque, dans la plupart des cas, de susciter un vague haussement d’épaules, voire une réaction agacée. En effet, le sport est bien loin des préoccupations quotidiennes.

Pourtant, le sport cache des enjeux essentiels : ses impacts politiques, économiques et sociaux peuvent se révéler majeurs. Il est donc intéressant de faire l’état des lieux de cette activité et de ses conséquences sur les autres domaines en ces temps étranges et troublés.

Un entraînement transformé

Fait inusité de la géopolitique du sport, la pratique du sport lui-même a été très fortement perturbée par les mesures de confinement imposées un peu partout sur la planète. Les sports d’équipe, de niveau amateur ou professionnel, sont presque tous à l’arrêt, à l’exception de quelques ligues professionnelles de soccer, dont celles du Bélarus, du Burundi et du Nicaragua. Dans le cas du Bélarus notamment, la raison est avant tout politique : démontrer la résilience du pays (et de son gouvernement) face à la crise.

Les activités sportives individuelles, surtout le jogging, sont tolérées, mais cela ne va pas sans heurts, plusieurs controverses fleurissant ici et là. En effet, il y aurait un risque de contamination accru durant l’effort physique, car la portée du virus dépasse la distance de sécurité prescrite. Plusieurs pays d’ailleurs ont limité la durée de l’activité physique en extérieur à une heure. Les piscines sont également hors limites. Pourtant, en ces temps de confinement quasi généralisé, la pratique sportive (et ses vertus pour la santé physique et mentale) est à la fois revalorisée… et rendue très difficile.

Reports en cascade

Du côté du sport professionnel, le mois de mars 2020 est à marquer d’une pierre noire. Au début du mois, bien que quelques rencontres professionnelles de soccer ou de hockey se soient déroulées à huis clos en Europe et en Amérique du Nord, rares étaient ceux qui prévoyaient ce qui allait suivre. Les unes après les autres, et à un rythme de plus en plus rapide, l’immense majorité des ligues et championnats professionnels ont vu leurs activités suspendues. Les annulations de tournois de tennis se succédèrent, et il devint clair que bien des séries éliminatoires et fins de championnat ne pourraient avoir lieu, quels que soient les arrangements envisagés. Comme un symbole, le tournoi collégial américain de basketball, le fameux March Madness, fut tout d’abord envisagé à huis clos puis annulé le 12 mars. Un premier domino venait de tomber.

Autre moment clé, rendu inévitable par la situation sanitaire en Italie et en Espagne, le report en 2021 de l’Euro de soccer qui devait se tenir dans 12 pays d’Europe, fut officiellement annoncé le 17 mars. Au cœur du maelstrom des suspensions, annulations et autres reports, certains cas furent particulièrement marquants. Le tournoi de tennis de Roland Garros se déroulera… à l’automne et le mythique tournoi de Wimbledon est purement et simplement… annulé !

À l’image d’une grande partie de l’humanité, le monde du sport perd tous ses repères. La distanciation sociale remet en cause tous ces évènements sportifs devenus si importants dans notre quotidien.

Les JO

Symbole du « sport-spectacle » médiatisé et mondialisé, les Jeux olympiques de Tokyo — devant avoir lieu à la fin de l’été — devenaient de plus en plus incertains. Dès janvier pourtant, alors que le nouveau coronavirus se limitait essentiellement à l’Asie, plusieurs voix s’étaient élevées, mettant en doute la possibilité de maintenir l’évènement. Face à cette incertitude croissante, le Comité international olympique, le gouvernement japonais et le comité organisateur des Jeux avaient maintenu le cap, imperturbables. Forts d’un certain appui de la population, ils martelaient que les Jeux, qui n’avaient jusqu’ici été annulés que pour cause de guerre mondiale, auraient bel et bien lieu.

Les raisons de cet optimisme, ressemblant au fil des semaines à de l’entêtement, étaient visiblement politiques et surtout économiques. Les Jeux olympiques représentent un investissement financier colossal pour les pays organisateurs, mais également pour les commanditaires et les réseaux télévisés. Les milliards de dollars déjà investis pesaient dans la balance, même si la simple logique organisationnelle prônait un report évident. Au-delà de la compétition elle-même et des mesures de sécurité sanitaires qui auraient dû être mises en place, la tenue des épreuves de sélection un peu partout sur la planète devenait de plus en plus illusoire. Les fermetures des frontières entraînèrent un ralentissement important du transport aérien, de nombreux athlètes et fédérations remirent en question leur participation à l’évènement et, pour couronner le tout, le soutien des Japonais à la tenue des Jeux s’effondra.

Dans un tel contexte, les atermoiements du CIO nuisaient à une image déjà peu reluisante, et renforçaient l’idée selon laquelle les considérations économiques primaient sur la sécurité et la santé des athlètes et du public. Finalement, le 24 mars, le report des Jeux à l’année suivante fut entériné, non sans que soit d’abord envisagée une tenue de l’évènement au mois d’octobre.

Selon certains observateurs, le CIO n’était pas le seul en cause, les organisateurs japonais s’étant montrés particulièrement rétifs à l’idée de voir leurs efforts réduits à néant. Il aura toutefois fallu de nombreux efforts et la perspective d’un report et non d’une annulation pour que la décision soit prise, avec un délai qui n’honore ni le CIO ni le Japon. Officiellement, donc, la cérémonie d’ouverture des Jeux de Tokyo 2020 aura lieu le 23 juillet 2021.

Et maintenant ?

Que peut-on attendre du monde sportif ? Les séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey et de basketball sont suspendues et seront probablement annulées[1]. Les grands championnats professionnels européens et les coupes européennes sont également suspendus et n’auront vraisemblablement pas de conclusion. Même le Tour de France, qui semblait épargner — la ministre française des Sports envisageant de le maintenir « à huis clos », ou plutôt sans spectateurs — a finalement été repoussé à la fin du mois d’août.

Bien que les mois à venir soient remplis d’inconnues et d’impondérables, il est déjà établi que les impacts financiers vont ébranler le monde du sport et les commanditaires, et ceci, du local au mondial. Les impacts sociaux dramatiques ne sont pas à négliger : la plupart des organisations professionnelles ont mis à pied un nombre important d’employés et mettront du temps à redémarrer. Certains clubs professionnels ne se sont d’ailleurs pas vraiment couverts de gloire, à l’image des clubs de soccer de Tottenham et de Liverpool, qui se sont tournés vers les indemnisations étatiques pour payer leurs employés !  

Les conséquences organisationnelles soulèvent également de nombreux questionnements, notamment pour les évènements qui n’ont pas encore été formellement annulés mais suspendus pour le printemps et l’été[2] et sur les calendriers de l’automne, en supposant un retour à la normale durant l’été. Quelles équipes seront qualifiées ou reléguées ? Quand et comment réorganiser les calendriers ? Quels pays seront encore trop touchés pour participer à des compétitions internationales ? Peut-on envisager que le public assiste à un évènement ? Comment auront lieu les déplacements ?

Le casse-tête semble sans fin, d’autant que les avis et opinions contradictoires se succèdent quant à la date et la manière de sortir de la crise et à ses risques de résurgence. De nombreux experts estiment que la pandémie pourrait s’atténuer significativement durant l’été, mais la crainte d’une deuxième vague, à l’instar de la grippe espagnole, pourrait remettre en cause toute planification.

Les fervents amateurs de sport devront composer avec quelques mois sans pratiquer leur activité, il est donc possible que certains se distancient de leur passion favorite. Cependant, après avoir traversé une période de profonde incertitude sociale et économique, remplie de défis, tant pour les sociétés que les individus, et avec un retour à la normale se dessinant long et difficile, beaucoup apprécieront probablement de retrouver « leur » sport. Mais il est possible que de nombreux adeptes aient perçu, un court instant, le sport et ses enjeux sous un angle et une perspective différents… un enjeu moins vital en quelque sorte.

[1] Comme l’avaient été celles du baseball majeur en 1994, pour de toutes autres raisons (un conflit de travail)

[2] Comme par exemple la Ligue nationale de hockey, ou la Ligue des champions

Yann Roche est président de l'Observatoire de géopolitique de la Chaire Raoul-Dandurand.

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21 avril 2020