« Téhéran » : Série d’espionnage et tensions nucléaires

Par Mylène de Repentigny-Corbeil
Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques | UQAM

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On l’a peut-être oublié, tant la pandémie de COVID-19 a causé une éclipse médiatique en 2020, mais en début d’année, de fortes tensions entre les États-Unis et l’Iran ont fait craindre une importante escalade entre les deux puissances. Le 3 janvier, un raid américain causait la mort du général Soleimani, commandant de la Force Qods, l’unité d’élite des Gardiens de la révolution. Dès le lendemain, une riposte iranienne a eu lieu à Bagdad, dans la zone verte irakienne, ciblant une base aérienne américaine sans toutefois faire de victimes. Le 8 janvier, un Boeing 737 d’Ukraine International Airlines a été abattu par l’Iran, coutant la vie à 176 personnes.

En cette fin d’année, nous vous proposons un retour sur ces tensions en dressant le portrait de la situation géopolitique en Iran, par le biais de la série télévisée d’espionnage Téhéran. Les huit épisodes nous plongent dans le conflit israélo-iranien, avec l’influence américaine en toile de fond.

Téhéran dans la ligne de mire israélienne

Série d’espionnage que plusieurs médias comparent à Homeland, Téhéran met en scène une agente du Mossad, Tamar Rabinyan (jouée par la talentueuse Niv Sultan), qui se rend dans la capitale iranienne avec l’objectif de pirater le système de défense anti-aérienne de la République islamique. Recrutée pour ses compétences informatiques, Tamar se substitue à une Iranienne qui cherche à fuir son pays à tout prix. Le plan initial – qui consiste à ne rester que quelques heures dans le pays, le temps de neutraliser le système de défense iranien afin que les avions de combat israéliens puissent bombarder une centrale nucléaire – est rapidement mis à mal. S’ensuivent huit épisodes où intrigues et revirements s’enchainent, tout en mettant en exergue l’humanité des antagonistes et la complexité du conflit qui perdure entre Israël et l’Iran.

Bien que le manque de réalisme de la série puisse être à juste titre souligné, cette production israélienne, réalisée par Moshe Zonder, évite les raccourcis fallacieux et stéréotypés qui auraient pu facilement être perçus, en termes de soft power, comme de la propagande israélienne. Au contraire, Téhéran réussit habilement à dresser le portrait de personnages forts et complexes qui représentent une diversité tant d’idées que culturelle et qui donnent une perspective humaine et plurielle au conflit. On y retrouve divers acteurs et actrices de la société iranienne, des militant.e.s progressistes qui organisent des soirées arrosées aux membres du gouvernement à la fois fier.e.s de leur pays, bienveillant.e.s et sensibles.

Même si cette série a été tournée en Grèce, sa scénarisation et sa réalisation lui ont valu plusieurs critiques positives sur la crédibilité des scènes à Téhéran. Toutefois, à l’instar de plusieurs autres séries d’espionnage, la trame narrative est parfois peu fidèle à la réalité et les enjeux sociopolitiques, seulement effleurés. Téhéran nous permet néanmoins de mieux saisir l’actualité régionale et internationale, ainsi que les tensions en jeu en matière de nucléaire.

Le nucléaire iranien au centre des tensions régionales et internationales

Un conflit latent perdure entre Israël et l’Iran depuis plusieurs décennies. En effet, depuis la révolution islamique de 1979, les deux pays se considèrent comme ennemis et mènent régulièrement des attaques. Les autorités iraniennes ne reconnaissent pas l’État d’Israël et s’y réfèrent à titre de régime sioniste (Baghat, 2018).

Au cours des quatre dernières décennies, les accusations de part et d’autre se sont multipliées. Téhéran entretient des liens politiques, économiques et militaires avec diverses forces ennemies d’Israël. Feu le général Soleimani était proche de différents dirigeants politiques dont Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah au Liban, et Abu Mahdi al-Muhandis, commandant de la force irakienne Kata’eb Hezbollah (mieux connue sous le nom de K.H). Ce dernier a été assassiné lors du raid qui a causé la mort du général Soleimani. Israël, de son côté, est notamment accusé d’avoir perpétré divers assassinats politiques et de scientifiques, en plus d’avoir participé à la diffusion du virus Stuxnet au sein des installations nucléaires de Natanz.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Rohani en Iran, les dépenses gouvernementales en cybersécurité ont fortement augmenté, passant de 76 millions de dollars à près d’un milliard entre 2008 et 2012. Quant à Israël, les dépenses soutenant la guerre informatique étaient évaluées à 13 millions de dollars entre 2012 et 2013 (Netolicka et Mares, 2018).

COVID-19 et assassinats politiques

Au début de la pandémie, l’Iran a tristement fait les manchettes lorsque le ministre de la Santé, Iraj Harirchi, a souligné le contrôle rigoureux de la pandémie tout en présentant d’importants symptômes du virus à la télévision d’État. Quelques jours plus tard, il annonçait sur ses réseaux sociaux avoir contracté le coronavirus. Avec plus de 200 morts dès le début du mois de mars, l’Iran est rapidement devenu le deuxième pays, après la Chine, avec le plus important nombre de cas enregistrés. Selon la BBC, les chiffres auraient été falsifiés par les autorités du régime, le nombre de personnes touchées par le virus et de morts étant bien plus élevé que celui déclaré par Téhéran.

Bien que Washington ait refusé d’assouplir les sanctions envers Téhéran, même pour des raisons humanitaires, la pandémie de COVID-19 a semblé alléger les tensions entre les États-Unis, Israël et l’Iran, l’ensemble des pays étant alors davantage préoccupés par les mesures sanitaires et leur politique intérieure. Toutefois, plusieurs évènements ont remis les frictions entre les puissances perse, américaine et israélienne au centre de l’actualité.

Le 16 novembre dernier, le New York Times mentionnait des discussions au sein de la Maison-Blanche concernant de potentielles réponses militaires face à l’augmentation des réserves nucléaires de l’Iran. En effet, l’Agence internationale de l’énergie atomique faisait état d’une réserve d’uranium douze fois plus grande que celle permise par l’accord nucléaire de 2015, dont le président Trump s’est désengagé en 2018. Pierre Pahlavi nous indique, dans un article publié par le Réseau d’analyse stratégique, que l’idée d’une attaque visant les installations nucléaires de Nantaz est en parfaite adéquation avec la stratégie de « pression maximale » utilisée par les États-Unis et Israël depuis 2017.

Quelques jours plus tard, soit le 27 novembre, Mohsen Fakhrizadeh, professeur de physique et l’un des plus importants scientifiques nucléaires iraniens, était assassiné à Absard, en banlieue de Téhéran, dans une attaque imputée à Israël.

Les tensions entre les États-Unis et l’Iran sont ainsi encore vives, bien que les évènements du début de l’année semblent lointains. La politique étrangère à l’endroit de l’Iran de Joe Biden, qui prendra le pouvoir au mois de janvier, sera à surveiller. D’ici là, il ne reste plus qu’à visionner les huit épisodes de Téhéran sur Apple TV+ !

 

Bibliographie

Bahgat, G. (2018). The Brewing War between Iran and Israel: Strategic Implications. Middle East Policy, 25(30), 67-79.

Kamin, D. (2020, 9 octobre). Tehran’ Is the Latest Israeli Thriller, Emphasis on Thrills. The New York Times, en ligne : https://www.nytimes.com/2020/10/09/arts/television/tehran.html

Netolicka, V. et Mares, M. (2018). Arms race “in cyberspace” - A case study of Iran and Israel. Comparative Strategy, 37(5), 414-429.

Pahlavi, P. (2020, 18 novembre). Frappes (envisagées) par Washington contre les installations nucléaires iraniennes de Natanz. Réseau d’analyse stratégique, en ligne : https://ras-nsa.ca/publication/potential-washington-strikes-against-iranian-nuclear-facilities-at-natanz/

Powers, J. (2020, 24 septembre). An Israeli Agent Finds Herself Stranded In ‘Tehran’ In A Gripping New Spy Series. npr, en ligne : https://www.npr.org/2020/09/24/916062316/an-israeli-agent-finds-herself-stranded-in-tehran-in-a-gripping-new-spy-series

Schmitt, E., Haberman, M., Sanger, D.E., Cooper, H. et Jakes, L. (2020, 16 novembre). Trump Sought Options for Attacking Iran to Stop Its Growing Nuclear Program. The New York Times, en ligne : https://www.nytimes.com/2020/11/16/us/politics/trump-iran-nuclear.html

s.a (2020, 3 août). Coronavirus: Iran cover-up of deaths revealed by data leak. BBC, en ligne : https://www.bbc.com/news/world-middle-east-53598965

Wysocka, N. (2020, 24 septembre). “Homeland” à Téhéran. Le Devoir, en ligne : https://www.ledevoir.com/culture/ecrans/586543/i-homeland-i-a-teheran

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8 décembre 2020
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