Viser la Lune et au-delà : l’essor de la Chine comme puissance spatiale

Par Gabrielle Gendron
Chronique des nouvelles conflictualités | Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques

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« Explorer le vaste cosmos, développer l’industrie spatiale et faire de la Chine une puissance spatiale est notre rêve éternel », annonçait en 2016 le président Xi Jinping. Alors que la Chine multiplie les exploits ces derniers mois, elle se positionne désormais comme un joueur majeur dans la course à l’espace.

Le 16 avril dernier, la navette chinoise Shenzhou 13 traversait l’atmosphère avec, à son bord, trois astronautes de retour d’une mission de six mois sur la station spatiale chinoise en construction Tiangong 3. La réussite de cette mission, la deuxième à se rendre sur Tiangong 3 depuis sa mise en orbite en avril 2021, et surtout la plus longue à ce jour pour la Chine, fut grandement célébrée. Tout comme le fut la présence de l’astronaute Wang Yaping, première femme à vivre à bord d’un des modules de la station spatiale chinoise, et première citoyenne de la République populaire à effectuer une sortie dans l’espace. Fortement encouragé par l’atterrissage réussi de la capsule de Shenzhou 13, le China's State Council Information Office dévoila le 17 avril 2022 un ambitieux plan entourant la fin de la construction de Tiangong 3. Celui-ci prévoit notamment de nombreux lancements spatiaux en 2022.

La conquête de l’espace est bel et bien devenue une priorité stratégique pour Pékin. La Chine y a investi environ 8,9 milliards de dollars, ce qui la positionne juste derrière les États-Unis en termes de budget. C’est aussi le programme spatial qui se développe le plus rapidement, puisque la première mission de vol habité lancée par Pékin date d’à peine 2003. Mais, si Tiangong 3 est le projet phare de ce programme, il n’est pas le seul ; le pays pose d’ores et déjà les bases des futures explorations des espaces exoatmosphériques[1].

Tiangong 3, station spatiale XXL

La mise en orbite du premier module de la nouvelle station spatiale chinoise représente une des grandes réussites de Pékin dans le domaine de l’exploration de l’espace. Tiangong 3 (en mandarin : Palais céleste) est la troisième version des stations spatiales chinoises, après Tiangong 1 et Tiangong 2, des prototypes dont la taille, limitée par les capacités des lanceurs orbitaux chinois, ne permettait pas des séjours de longue durée. Les deux stations ont été désorbitées respectivement en avril 2018 et en juillet 2019. Depuis 2021, l’Agence chinoise des vols spatiaux habités (CMSA) assemble Tiangong 3, en orbite entre 340 et 450 kilomètres au-dessus de la Terre. Lorsqu’achevée, celle-ci, beaucoup plus massive que ses deux prédécesseures, comportera trois modules. Le module central nommé Tianhe, le plus gros jamais construit par la Chine, a été lancé en mai 2021.

La station spatiale dont la construction doit être achevée d’ici la fin de l’année est une percée significative pour l’exploration spatiale chinoise. Tiangong 3 sera utilisée comme une station laboratoire, et servira à mener des expériences scientifiques, technologiques et d’application à grande échelle en plus d’enrichir les technologies pour les futures explorations de la Chine dans l’espace lointain. Selon les autorités chinoises, la station prévoit aussi d’accueillir des touristes spatiaux, et deviendra également le centre de contrôle du puissant télescope spatial Xuntian. Celui-ci possédera un champ de vision 300 fois plus grand que le télescope Hubble, et sera mis en orbite en 2024. Un tel champ de vision permettrait d’observer jusqu’à 40 % du cosmos sur dix ans.

Un plan pour la coopération spatiale

Fidèle à ses ambitions sur la scène mondiale, la Chine a posé les bases d’une coopération spatiale internationale dans son livre blanc de janvier 2022 intitulé China’s Space Program : A 2021 Perspective. La Chine y exprime notamment son désir de participer activement à l’élaboration de règles internationales concernant l’espace extra-atmosphérique et de collaborer avec d’autres pays pour relever les défis liés à la durabilité à long terme des activités spatiales. Depuis 2016, Pékin a d’ailleurs signé 46 accords de coopération spatiale ou protocoles d’accord avec 19 pays et régions et quatre organisations internationales. Le 18 avril dernier, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères de la République populaire, Wang Wenbin, a stipulé que la station spatiale chinoise est le premier projet spatial ouvert à tous les États membres de l’ONU, et neuf projets impliquant quelque 17 pays ont déjà été sélectionnés parmi le premier lot d’expériences scientifiques qui seront menées à bord de la station.

Il est important de rappeler que la Station spatiale internationale était la seule en orbite pendant 22 ans et que la Chine en est exclue par les États-Unis. En effet, depuis 2011, l’amendement Wolf interdit à la NASA d’utiliser des fonds publics pour une coopération bilatérale avec le gouvernement chinois ou avec des entreprises chinoises. Cette interdiction répond à des préoccupations de violation de droits de la personne ainsi que de sécurité nationale, notamment dues au vol de propriété intellectuelle. Des inquiétudes partagées par le Canada : un ancien employé de l’Agence spatiale canadienne s’est fait arrêter par la GRC sous motif de cyberespionnage pour le compte de Pékin en 2019. De plus, entre 1998 et 2004, un professeur de l’Université McGill a coordonné un réseau d’espionnage de secrets industriels de l’Agence spatiale canadienne dans l’optique d’aider au développement de missiles en Chine.

Or la Station spatiale internationale, en orbite depuis de longues années et dont l’entretien est devenu trop onéreux, est susceptible d’être mise hors service en 2031. Tiangong 3 deviendrait alors la seule station spatiale opérationnelle au monde. Comme le souligne Nicolas Roche, l’espace est aujourd’hui tout autant un élément de supériorité militaire que de vulnérabilité potentielle. Une seule station spatiale opérationnelle entraînerait donc une forte dépendance envers la Chine pour ce qui touche de loin ou de près aux voyages dans l’espace exoatmosphérique.

Une nouvelle puissance lunaire

Le programme spatial chinois a franchi plusieurs autres grandes étapes récemment. En effet, à la fin 2020, la Chine a ramené sur Terre du sable et des roches recueillis sur la face cachée de la Lune par sa sonde Chang’e 5. En mai 2021, elle a fait atterrir le rover Zhurong sur Mars pour une mission de 90 jours visant la collecte d’échantillons de la surface et de l’atmosphère de Mars. La Chine a également signé un protocole d’accord intergouvernemental avec la Russie pour la construction d’une base lunaire opérationnelle en 2036. Les deux pays prévoient des installations en orbite autour de la Lune et sur la surface lunaire, ainsi que des véhicules de descente et de remontée, entre autres infrastructures. C’est un partenariat qui tombe à pic, alors que la Russie menace depuis quelques jours de quitter la Station spatiale internationale en réponse aux sanctions imposées depuis le début du conflit en Ukraine.

L’espace : une zone sensible

La Chine brandit les projets de coopération pacifique tels que Tiangong 3 et n’annonce pas toujours ouvertement les ramifications militaires de son programme spatial. Toutefois, elle ne montre aucun signe de ralentissement de ses investissements dans le développement de capacités militaires spatiales. Pékin a d’ailleurs testé plusieurs armes antisatellites à ascension directe capables d’atteindre des satellites en orbite terrestre basse[2] ou même géostationnaires[3].

En janvier 2022, la flotte de satellites de renseignement, de surveillance et de reconnaissance de la Chine comptait plus de 250 appareils, dont la plupart sont probablement utilisés par la machine de surveillance chinoise, notamment pour scruter les points chauds régionaux tels que Taïwan, l’océan Indien, la mer de Chine méridionale et la péninsule coréenne. Sachant que Pékin souhaite également se doter d’environ 13 000 satellites destinés à fournir un accès à Internet, il apparaît désormais important d’intégrer la dimension spatiale aux débats entourant l’essor militaire de la République populaire.

[1] Désigne les espaces situés sur d'autres corps célestes que la Terre.

[2] Satellites gravitant sur l’orbite terrestre basse, soit une altitude inférieure à 2000 kilomètres.

[3] Satellites géostationnaires, autrement dit, dont la rotation est synchronisée avec celle de notre planète de manière à conserver une position fixe par rapport à la surface terrestre.

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10 mai 2022
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