Des Jeux olympiques high-tech et sous haute surveillance

Par Gabrielle Gendron
Chroniques des nouvelles conflictualités - Chaire Raoul-Dandurand

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Sur fond de crise sanitaire, la Chine a organisé des Jeux olympiques d’hiver high-tech. De l’intelligence artificielle à la robotique en passant par les applications dernier cri, toute la gamme des technologies de pointe était offerte. Si le fonctionnement numérique des Jeux était ainsi assuré, c’est pourtant la surveillance qui a remporté le podium.

Du 4 au 20 février 2022, les Jeux olympiques d’hiver ont tenu le monde en haleine. Cet événement d’envergure est toujours l’occasion pour les pays hôtes de parader et de mettre en valeur leurs atouts. Ceux de Pékin n’ont pas fait exception et ont donné l’occasion à la Chine d’affirmer son statut de superpuissance technologique. Elle s’est appliquée à le faire en intégrant des technologies de dernière génération, tels des systèmes de reconnaissance vocale et de traduction instantanée.

Toutefois, cet étalage de prouesses a soulevé de nombreuses inquiétudes. Alors que les lois chinoises entourant les nouvelles technologies donnent priorité à leur conception et leur rendement, un certain nombre d’acteurs se sont interrogés sur la protection des données récoltées dans le cadre des Jeux. En effet, si les athlètes du monde entier sont partis de Pékin avec des médailles, ils pourraient y avoir laissé des traces plus personnelles.

MY2022 : une application sournoise

L’application MY2022, dont l’utilisation était obligatoire y compris pour les membres du public, de la presse et les athlètes en compétition, soulève des inquiétudes majeures. Elle offrait certes un large éventail de fonctionnalités — clavardage audio vocal ou en temps réel, transfert de fichiers, etc. —, mais les athlètes devaient y ajouter leurs détails de passeport, leurs informations démographiques ainsi que leurs antécédents médicaux et de voyage. Par conséquent, celle-ci donnait un portrait assez complet de ses utilisateurs, mais aussi de leurs activités en temps réel. Or, selon le Citizen Lab de l’Université de Toronto, MY2022 présentait d’importantes failles de sécurité.

En passant en revue le fonctionnement de l’application, les chercheurs torontois ont constaté que le cryptage protégeant la voix des utilisateurs et les transferts de fichiers pouvait être facilement contourné. Les informations relatives à l’état de santé des utilisateurs semblaient aussi être vulnérables. Le Citizen Lab a observé que, pour les utilisateurs internationaux, l’application recueillait un ensemble de renseignements personnels ainsi que ceux de l’organisation à laquelle ils appartiennent. Pour les utilisateurs nationaux, MY2022 colligeait des données personnelles, notamment le nom, le numéro d’identification national, le numéro de téléphone, l’adresse électronique, la photo de profil et les informations relatives à leur emploi. Ces données étaient transmises au Comité d’organisation de Pékin.

De plus, MY2022 renfermait un fichier caché nommé « illegalwords.txt », qui contenait une liste de 2 442 mots-clés considérés comme politiquement sensibles en Chine. Si l’application décelait un de ces mots alors elle était en mesure de censurer des conversations. Fait troublant, l’application contenait aussi une fonction permettant aux détenteurs de MY2022, chinois ou étrangers, de dénoncer d’autres utilisateurs, s’ils considéraient un message de clavardage douteux ou politiquement sensible. Yang Shu, le directeur général adjoint des relations internationales du Comité d’organisation de Pékin avait d’ailleurs lancé à ce sujet un avertissement très clair avant le début des Jeux : « Tout comportement ou discours contraire à l’esprit olympique, et surtout contraire aux lois et règlements chinois est également passible de certaines sanctions ». Les autorités chinoises semblent ainsi avoir exploité les Jeux pour renforcer leur contrôle social sur la population.

La technologie « sombre » de la Chine au service des Jeux

MY2022 n’est pas la seule technologie ayant soulevé des inquiétudes au fil des Jeux. En 2019, une société de reconnaissance vocale et d’intelligence artificielle nommée IFlytek a été désignée comme fournisseur exclusif du logiciel de traduction automatique de Pékin 2022. Ce logiciel devait comprendre la synthèse vocale en 60 langues, la reconnaissance vocale en 69 langues, la traduction automatique en 168 langues et la compréhension interactive en 3 langues.

IFlytek était en terrain connu puisqu’elle fournit déjà près de 80 % de la technologie de reconnaissance vocale disponible dans le pays et collabore depuis longtemps avec le ministère chinois de la Sécurité dans la province du Xinjiang et ailleurs. De fait, les systèmes conçus par la firme y sont déployés contre la minorité ouïghoure, et servent à traduire les conversations enregistrées par les autorités à l’intérieur d’installations publiques, de maisons privées et dans la rue. Grâce à l’intelligence artificielle, les technologies d’IFlytek alertent automatiquement la police de l’utilisation de l’un des 1800 mots-clés qui sont surveillés. « Effectuer des prières », « lire le Coran », ou « aller au bazar » figurent parmi ces mots. Ils sont contenus dans un système de surveillance informatisé appelé « Integrated Joint Operation Platform », qui utilise des algorithmes pour déterminer si une personne a fait ou dit quelque chose justifiant son arrestation.

Par ailleurs, 7,2 milliards de dollars ont été investis dans la technosécurité au Xinjiang : la guerre contre le « terrorisme » qui sévit en Chine ces dernières années a permis à de nombreuses start-ups technologiques chinoises d’atteindre des niveaux de croissance sans précédent. IFlytek est du nombre et, suite aux Olympiques, elle prévoit commercialiser et exporter sa technologie à l’international.

Un goût amer pour la population chinoise

Malgré les mises en garde de la Chine, les critiques émises par les athlètes, notamment celles du skieur anglais Gus Kenworthy à propos des violations des droits humains en Chine, n’ont pas été sanctionnées. En effet, les services de sécurité chinois ont de prime abord brillé par leur absence. Tout indique qu’ils étaient surtout occupés à sévir contre la population chinoise : de nombreux militants de la société civile, des journalistes et des universitaires déclarent avoir reçu des avertissements de la police et avoir été censurés sur leurs plateformes de médias sociaux durant les Jeux. De plus, Hu Jia, militant des droits humains basé à Pékin, a déclaré dans un tweet que l’appareil de sécurité de l’État chinois convoquait des activistes dans tout le pays pour les interroger et les avertir de garder le silence.

En prévision des Jeux, les autorités ont également arrêté deux militants des droits de l’homme : l’avocat Xie Yang et l’écrivain Yang Maodong. Ils sont accusés d’incitation à la subversion de l’État. Un troisième avocat, Tang Jitian, a disparu en décembre alors qu’il se rendait à un événement organisé à Pékin dans le cadre de la Journée européenne des droits de l’homme. Comme le craignait la communauté internationale, la machine de propagande et de surveillance du gouvernement chinois s’est effectivement emballée et elle a permis un déroulement « sans heurts » de ce moment historique. Si les Jeux sont maintenant terminés, nul doute que ce rouleau compresseur, lui, reste dans une forme olympique.

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1er mars 2022
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