La nouvelle passée sous silence : Polémique autour d’armes russes en Afghanistan

Par Alexis Rapin
Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques | UQAM

Fin mars, le commandant des forces américaines en Afghanistan a accusé Moscou de fournir secrètement des armes aux talibans. Pour autant, la présence d’armes russes dans le pays s’avère en bonne partie un héritage de la guerre froide.

De quoi parle-t-on ?

À la fin mars, dans une interview à la BBC, le général américain John Nicholson, commandant des forces stationnées en Afghanistan, a accusé la Russie de fournir clandestinement des armes aux talibans : « Des armes ont été apportées à notre quartier général par des leaders afghans, qui nous ont dit qu’elles avaient été données par la Russie aux talibans », a déclaré l’officier devant les caméras du média britannique. Un jour plus tôt, Curtis Scaparrotti, commandant des forces américaines en Europe, formulait un constat similaire lors d’une audition devant le Sénat à Washington.

Pour le moins grave, la mise en cause a été promptement rejetée par le Kremlin. « Nous avons ri à l’écoute de ces accusations », a réagi l’émissaire de la Russie en Afghanistan Zamir Kabulov. Moscou, qui maintient avec les talibans un contact à but diplomatique, a rétorqué que, selon ses sources, les insurgés s’armeraient essentiellement auprès de la police et l’armée afghane, en recourant par exemple à la corruption. Les États-Unis, selon le diplomate, chercheraient donc à masquer leur incapacité à stabiliser l’Afghanistan en mettant en cause la Russie.

En quoi est-ce important ?

Une trentaine d’années après que les États-Unis aient armé les moudjahidines afghans combattant les troupes russes, Moscou chercherait-elle à leur rendre la pareille ? Interrogés sur la question, des experts indépendants de l’organisme Small Arms Survey ont déclaré que de telles accusations étaient difficiles à prouver : bien que de fabrication russe, les types d’armes évoqués par les généraux américains seraient accessibles auprès de nombreuses autres sources à travers le monde.

Un constat qui a son importance : en 2012, un rapport du Small Arms Survey révélait que la majorité des armements saisis par les forces de l’OTAN en Afghanistan dataient de la guerre froide, et notamment de l’occupation soviétique des années 1980. Provenant de Chine, de Russie et du Pakistan, ces équipements auraient été soit fournis aux Afghans par les États-Unis[1] soit récupérés des Soviétiques après leur retrait du pays. Plus insolite encore, parmi les armes saisies figureraient également quelques fusils de fabrication britannique, reliques de la guerre d’indépendance contre le Royaume-Uni, en 1919.

Un constat qui met en évidence un fait établi de longue date par les experts du désarmement : de nombreuses armes connaissent « plusieurs vies » et, faute d’être systématiquement saisies et détruites, cheminent de conflit en conflit. Au début des années 2000, des recherches démontraient par exemple que des armes utilisées durant la guerre civile au Libéria avaient été restockées, puis expédiées sur les champs de bataille de Côte d’Ivoire.

Ainsi, l’origine géographique d’une arme ne dirait pas tout sur son « cycle de vie », encore moins sur les circonstances qui ont mené son utilisateur à la détenir. Fin 2017, l’organisme Conflict Armament Research retraçait le curieux parcours de certaines armes saisies au groupe armé État islamique : de fabrication chinoise ou bulgare, ces équipements avaient été achetés par les États-Unis pour armer des rebelles syriens, avant d’être capturés et réutilisés par des combattants de l’EI. De quoi illustrer la difficulté d’établir avec certitude l’origine d’armes « russes » en Afghanistan.

À suivre…

Si des transferts d’armes de Moscou aux talibans demeurent donc largement au stade de spéculations, nombre d’observateurs estiment néanmoins que l’influence russe en Afghanistan s’est considérablement accrue depuis début 2017. Le Kremlin, pour sa part, affirme que ses efforts dans la région servent avant tout à encourager des négociations de paix entre le gouvernement afghan et les talibans. En parallèle, la position américaine est ambigüe : l’administration Trump dit aussi chercher à négocier, mais semble d’abord vouloir affaiblir suffisamment les insurgés pour partir sur des bases de discussions avantageuses. Il sera donc intéressant de voir comment les intentions de Washington et Moscou, dans les mois à venir, convergeront ou s’entrechoqueront. Dans la seconde éventualité, les incitations pour la Russie à effectivement fournir des armes aux talibans pourraient devenir plus concrètes.

Pour en savoir plus, les travaux de nos chercheurs :

Sur les enjeux des processus de désarmement en contexte de conflit :

Sur la situation des États-Unis en Afghanistan :

[1] Afin de masquer leur implication dans les transferts d’armements vers des tiers, les États-Unis tentaient généralement de fournir des armements issus du bloc communiste, par exemple achetés à des puissances relativement neutres.

Avril 2018