Vers un Moyen-Orient échappant aux Etats-Unis ?
Par Pierre-Alain Clément
Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques | UQAM
La question de l’amoindrissement de la puissance américaine au Moyen-Orient se pose sous le mandat du président Obama en raison de plusieurs défis :
1. Les difficultés continues rencontrées en Irak et en Afghanistan ont montré les limites de la puissance militaire d’un pays dont l’armée représente pourtant l’un des leviers d’influence les plus importants dans la région ;
2. La capacité de disruption continue d’une mobilisation fédérée par Al-Qaïda, peu nombreuse mais déterminée et mobile (de l’Afrique de l’Ouest au Pakistan), malgré l’attrition considérable qu’a connue l’organisation (cadres comme capacités opérationnelles), en Afghanistan, au Pakistan, au Yémen et au Maghreb ;
3. La persistance d’acteurs explicitement en opposition avec les États-Unis, en particulier l’Iran et ses alliés ;
4. L’émergence de nouveaux régimes potentiellement moins favorables aux ÉtatsUnis (Tunisie, Libye, Égypte) ;
5. La fragilisation d’alliés des États-Unis, en raison soit d’un contexte international plus hostile (Israël) soit de la collusion de plusieurs régimes officiellement amis mais dont les rapports avec l’islamisme combattant sont ambigus (Algérie, Yémen, Arabie saoudite, Qatar, Afghanistan, Pakistan).
Cependant, ces facteurs de fragilisation de la position américaine dans la région ne signifient pas que les États-Unis perdraient les moyens de défendre leurs intérêts dans la région, et ceci pour cinq raisons :
1. Les capacités militaires des États-Unis demeurent incontestées, comme l’ont montré les difficultés françaises et britanniques en Libye, notamment dans la lutte contre les jihadistes (drones, collecte et exploitation des renseignements) ;
2. Si aucune solution politique à la radicalisation n’a été trouvée, les campagnes d’assassinats des jihadistes les plus menaçants et le renforcement des capacités de surveillance ont permis de maintenir la menace jihadiste à un niveau acceptable pour les dirigeants, notamment en offrant aux États-Unis une décennie pratiquement exempte d’attaques sur son sol ;
3. L’Iran est isolé au niveau international, notamment en raison de son ambition nucléaire et de la guerre civile syrienne, tout en étant fragilisé au niveau interne ;
4. Les nouveaux régimes issus du Printemps arabe n’ont pas remis en question l’ordre pro-américain de la région : la Tunisie est focalisée sur ses défis internes, la Libye renvoie au problème du jihadisme, et l’Égypte a montré que l’armée, sans velléités antiaméricaines, demeurait le véritable centre du pouvoir ;
5. Les alliés des États-Unis continuent de dominer la région : Israël se trouve dans l’œil du cyclone, épargné par les secousses les plus fortes depuis le début des soulèvements ; les autres « gendarmes » de la région (Arabie saoudite, Turquie) sont alliés des États-Unis ;
De la sorte, les États-Unis demeurent la puissance principale dans la région et leurs alliés réclament toujours leur implication dans la région, si bien que les signes de retrait américains peuvent être interprétés comme une volonté de la part des États-Unis de réduire leurs engagements dans la région, dans une forme d’influence à distance (leadership from behind). Un retrait relatif, effectué au profit d’une attention accrue portée à la Chine. Cette dernière, qui importe la moitié de son pétrole du Moyen-Orient (alors que les États-Unis en sont de moins en moins dépendants), pourrait changer la donne dans la région à l’avenir si elle décidait d’abandonner sa position attentiste actuelle.
En savoir plus